Entrevue réalisée par HeleneCaroline Fournier, experte en art et théoricienne de l’art, pour le compte du CIAAZ, avec Chantale Guy, artiste de Saint-Prime, ce 9 mars 2017.
ENTREVUE AVEC CHANTALE GUY
ArtZoom : Est-ce que vous pensez que l’art visuel est en perpétuelle évolution? Avec votre expérience, avec ce que vous avez vu, vécu et/ou entendu, en tant qu’artiste, pensez-vous que l’art visuel restera «traditionnel» ou si vous pensez que l’art visuel penchera de plus en plus avec la technologie ? Jusqu’où ira la présence technologique dans l’art ? Jusqu’où pourrait-on dire «ceci reste de l’art»? Y aura-t-il un moment où l’art sera dénaturé au profit de la performance informatique, selon vous?
Chantale Guy : Il y aura toujours des puristes comme moi, toutefois la nouvelle technologie est présente dans nos vies en 2017. Il ne faut surtout pas l’ignorer. Ceci étant dit, que faire avec ? En faire un allié ou un ennemi ? Le Web, Facebook, Instagram, pour ne nommer que ceux-là, peuvent nous rendre de très grands services pour notre publicité, page personnelle, etc. J’ai appris, avec l’expérience, que les nouveaux outils me font me questionner sur les nouvelles techniques. Les lectures sur le Web et dans les revues spécialisées me renseignent beaucoup. Il y aura toujours une place pour l’art traditionnel – comme il y a eu un avant et un après du Refus Global. C’est un monde rempli de bons et de mauvais artistes. Certains sont géniaux. Tout demeure relatif. Le principal, c’est de demeurer authentique. J’aimerai toujours les clairs-obscurs de Rembrandt (1606-1669) ou les couleurs vives de Jean-Paul Lapointe (1935-2007).
ArtZoom : On dit souvent que les artistes sont des êtres solitaires, qu’ils sont «seuls», que ce sont des individus « différents des autres », êtes-vous de cet avis? Vous sentez-vous seul(e)? Êtes-vous fondamentalement solitaire? Ou avez-vous besoin de vous entourer de gens pour créer?
Chantale Guy : J’aime les gens, c’est pourquoi je les peints. Il me faut donc sortir de mon atelier pour les voir sourire ou être sérieux. Je prends des photos, je tente de garder en mémoire des regards, des expressions, pour ensuite m’isoler afin de peindre. Quand je suis seule dans mon atelier, j’aime écouter de la musique. Ensuite, le silence se fait dans ma tête et je commence par un son qui me rappelle une couleur, et ainsi de suite… jusqu’à la fin.
ArtZoom : Quelle est votre source d’inspiration? Et que faites-vous pour conserver votre motivation à créer ?
Chantale Guy : Mes sources d’inspiration sont mes enfants, ma famille, mes amis, des étrangers aux visages intéressants, pas nécessairement beaux. Quelqu’un m’ a dit, un jour, qu’être jolie est plus qu’être belle car c’est plus profond. C’est ce que je recherche: la profondeur. Les animaux sont aussi ma source d’inspiration car ils représentent une part de nous qui est animale donc instinctive. Je les intègre à la toile pour ne pas l’oublier.
ArtZoom : Est-ce que votre famille a été solidaire de votre décision de « devenir » artiste ou si elle vous a découragé en disant que c’était difficile d’en vivre? Comment s’est fait cette décision de devenir artiste professionnel(le)? Quelle a été la réaction de votre famille à l’époque ? Quelle est la réaction de votre famille aujourd’hui ?
Chantale Guy : Ma mère a été la première à voir que j’avais de la facilité à dessiner. Mes enseignantes, au primaire, me faisaient dessiner au tableau lors des fêtes (comme Noël ou Pâques). Au secondaire, les enseignants encourageaient surtout les garçons dans le domaine des arts, même si j’étais plus habile qu’eux. J’aurais aimé étudier les arts dans une université, mais en 1968-1970 – et surtout venant d’un petit village – une grande ville, comme Montréal, représentait pour mes parents trop de risques pour ne pas dire l’« enfer » (dans le sens où les grandes villes étaient perçues comme des lieux de perdition). Ce n’est qu’en 1995 que j’ai repris des cours au Cégep et que, depuis, je n’ai plus arrêté. Ma famille est toujours là pour m’encourager.
ArtZoom : A quel moment vous êtes-vous intéressé(e) à l’art? Lorsque vous étiez enfant ou une fois adulte?
Chantale Guy : Je me souviens, à l’âge de 5 ans, que je regardais le dictionnaire de ma grande sœur. J’ai remarqué une image d’une petite fille qui tenait une gerbe de blé. J’ai demandé à ma grande sœur de me lire le texte et elle m’a dit que c’était une toile qui était au Musée du Louvre à Paris, que le peintre s’appelait Renoir, que Paris était très très loin de chez nous. Je lui ai fait la remarque que, un jour, j’irai dans ce Louvre. C’est 50 ans plus tard que j’ai tenu ma promesse. Imaginez ce que j’ai ressenti quand j’ai payé mon billet et que j’ai levé la tête pour réaliser ce qui m’arrivait.
ArtZoom : Quels ont été les obstacles majeurs que vous avez rencontrés au cours de votre carrière? Pensez-vous que tous les artistes passent par les mêmes obstacles? Ou si vous pensez que chaque artiste a ses « propres » obstacles?
Chantale Guy : C’est moi l’obstacle : avoir à affronter des juges lors de concours, de toujours prouver que j’étais différente ou meilleure, selon certains critères d’évaluation. Cela a été mes pires obstacles car ils me rappelaient mes cours au secondaire dans lesquels, peu importe ce que je peignais, ce n’était jamais à la hauteur de certaines de mes camarades. Je pense que, même aujourd’hui, j’ai encore ce syndrome de manque de confiance.
ArtZoom : Quel est le souvenir le plus heureux de l’une de vos expositions gardez-vous en souvenir? Quel serait le souvenir le plus malheureux ?
Chantale Guy : Après presque 10 ans de symposiums, d’expositions solos et collectives, il y a eu – enfin!- une personne qui a vu toute mon évolution et qui a eu la gentillesse de me le dire et, surtout, qui m’a référé une personne qui pouvait m’aider dans ma carrière. Les mauvais souvenirs ne sont que des expériences qui m’ont fait grandir et qui m’ont donné plus confiance en moi. Ils m’ont surtout fait comprendre que l’on ne pouvait pas plaire à tous.
ArtZoom : Qu’est ce qu’il faudrait améliorer dans le domaine des arts visuels, au niveau professionnel, selon vous pour améliorer la qualité de vie des artistes professionnels ?
Chantale Guy : L’ignorance est la pire chose à vivre. Encore à ce jour, pour moi, quand je dis que je suis une artiste peintre professionnelle, il faut que je leur explique ce que cela veut dire. Je dois leur dire quel chemin j’ai parcouru et quelle démarche j’ai dû faire pour cela. Il y en a même qui me dise que c’est un beau passe-temps ! Heureusement, avec Facebook, mon site internet, des amis, les ventes de mes œuvres ainsi que des expositions dans les galeries d’art, l’image s’améliore peu à peu.
ArtZoom : Si vous aviez un conseil à donner à un(e) jeune artiste qui désire se lancer dans le domaine, quel conseil lui donneriez-vous?
Chantale Guy : Avoir de la patience, de la passion. Avoir un bon réseau de personnes à qui tu peux te fier, qu’ils soient dans les arts ou non, car, être artiste peintre, c’est un état d’âme. On peut apprendre la technique, on peut avoir toutes les connaissances nécessaires et, surtout, si tu ne penses pas qu’à l’argent ou qu’à devenir riche, tu as toute les chances de réussir. Avoir un plan B est aussi une bonne alternative pour quelques années, tout en maintenant ta créativité à jour en visitant des musées, des galeries ou en clavardant avec des gens du même monde que toi.
ArtZoom : Pensez-vous que l’artiste contemporain doit obligatoirement exposer dans un autre pays pour obtenir une reconnaissance professionnelle dans son propre pays? L’adage « nul n’est prophète en son pays » est-il vrai, selon vous ?
Chantale Guy: Pour une reconnaissance professionnelle, oui, car dans une carrière tu dois obligatoirement faire quelques expositions à l’extérieur. Cela change le regard des gens. On dirait qu’ils te prennent plus au sérieux quand tu leur dis que tu as exposé en Europe, que tu as vendu des toiles aux Etats-Unis, en Allemagne ou dans d’autres régions du Canada… dont beaucoup au Québec. Toutefois, quand je suis dans mon atelier, cela ne change pas tellement ce que je suis vraiment.