Ces six oeuvres de Muriel Cayet ont été expliquées dans le livre Pour une lecture éclairée de l’art contemporain de HeleneCaroline Fournier, paru chez Art Total Multimédia éditeur, 2015 – ISBN: 978-2-923622-24-8 – Québec (Canada)

A Madras ou à Caracas ?

Plusieurs lignes se profilent à l’horizon. A Madras ou à Caracas ? L’interprétation à partir du titre de l’oeuvre donne une première piste à suivre: il s’agit de lieux très ensoleillés. Le ciel se manifeste tout en jaune, couleur de la lumière solaire. On distingue quelques silhouettes verticales: mats de bateaux ou cheminées d’usine ? Ce monde imaginaire laisse place à la fantaisie du rêve. Visnu, dieu hindou, éclatant de lumière, conservateur du monde et protecteur des hommes, porte le jaune. Parallèlement, le Vénézuela est représenté par une partie de son drapeau: le jaune du haut, le bleu – très subtil – du centre et le rouge du bas du tableau – dans un ton moins passionnel que le rouge primaire. Le jaune a également une symbolique importante pour les peuples précolombiens. La lumière en tant que symbole est utilisée comme métaphore puisqu’il s’agit de mettre en relation l’obscurité terrestre et la lumière divine, omniprésente dans ce tableau, représentant un monde informel, entre l’art abstrait et l’art figuratif. Une proposition à double sens, présentant une pensée sous l’image d’une autre pensée, la rendant plus frappante encore avec ce voile allégorique que l’on reconnaît dans cette oeuvre. L’attention se porte sur les verticales alors qu’on oublie la division horizontale qui pourrait symboliser: la terre, la mer et le ciel, en proportion égale.

Jaune horizon

Cette oeuvre n’est pas le condensé de la précédente, même si plusieurs éléments semblent récurrents. Si la première avait deux horizons, celle-ci n’en a qu’un seul. Jaune Horizon est beaucoup plus primaire. Le sens symbolique de la lumière est né de la contemplation de la nature. L’homme est gris au milieu du monde chromatique. Il a besoin de couleur et de contre-couleur pour trouver son équilibre. Entrer dans le bleu clair, entre deux couches de gris et de jaune, c’est entrer dans la rêverie humaine. La pensée consciente laisse place à l’inconscient. Les contradictions et les alternances sont des rythmes humains, comme une marée qui monte et qui descend. Cette bande bleue fournit une évasion sans prise sur le réel. C’est le voyage imaginaire vers un autre rivage, foncièrement humain. Les trois bateaux sont des symboles de passage d’une rive, d’un état ou d’un monde à l’autre. Ici, l’émotion esthétique a exigé une émotion expressive. L’artiste a libéré sa pensée pour créer une oeuvre épurée de tout artifice. Aucun conflit intérieur à l’horizon. Aucune oscillation entre le ciel et la terre: l’horizon est nettement défini. Les éléments de la nature se réunissent dans un carré parfait. La nature profonde de l’artiste est équilibrée et c’est pourquoi elle peut être une compagne de voyage efficace. Cette oeuvre reflète son quotidien; il est un autoportrait intérieur.

Resistencia

Le rouge revêt presque toujours un symbolisme puissant. Il est, ici, mis en arrière plan. C’est une couleur révolutionnaire. Le titre de l’oeuvre nous donne d’ailleurs une piste à suivre: Resistencia. Une information qui manifeste le désir ou la volonté de résister à quelque chose liée à la ville et à ses activités tourbillonnantes. Le rouge peut être associé aussi à l’idée de violence, d’enfer, d’interdit… mais, ce rouge-ci est entremêlé d’orangé et de noir qui lui donne un sentiment de mélancolie et d’insécurité. L’orangé donne par contre l’équilibre dans les ardeurs que l’on remarque. La ville est présentée d’un point de vue général. On ne la reconnaît pas, mais on la devine. Toute l’agitation se mélange en couleurs. C’est une fête ou un festival qui transpire de toute cette agitation colorée. On festoie dans un pays latin et c’est cette joie qui est la « résistance » face à une vie quotidienne difficile. « Créer, c’est résister; résister, c’est créer » pourrait-on aussi entendre.

Intérieur ville

Nous restons dans le domaine de la vie urbaine et de ses activités. Cette fois-ci, la couleur dominante de l’oeuvre est bleue. Ce bleu est souvent associé au monde spirituel. C’est le mystère du ciel face à l’eau. Le ciel se reflétant dans l’eau et l’eau étant le gardien des mystères des profondeurs. La réflexion est sollicitée tout particulièrement dans cette oeuvre. La sagesse se délivre des illusions et atteint la vacuité que représente cette couleur. Le sujet est une ville, mais ce qui l’entoure reste de l’ordre de l’envol de la pensée vers la réflexion. Les maisons et bâtiments qu’on y voit sont l’image d’un progrès de la civilisation qui a fait de sa maison un centre de discussions intérieures. Les fenêtres sont des ouvertures sur le monde et sur la lumière. Les embarcations que l’on devine prévoient une traversée, un cheminement ou un voyage. La ville est une accumulation, une concentration; c’est un microcosme entouré de mystère dont le coeur bat au rythme de la vie humaine. Cette oeuvre est, pour l’artiste, l’image d’une mer intérieure, havre de paix au coeur de la ville et de ses bruits. C’est l’océan intérieur, au coeur des agitations quotidiennes.

Horizon rouge

Selon la pensée médiévale, l’homme est un pèlerin entre deux cités: la vie est un passage de la Cité d’en bas à la Cité d’en haut. Selon l’analyse contemporaine, la cité est un des symboles de la mère, avec son double aspect de protection et de limite. De lmême que la ville possède ses habitants, la femme contient en elle ses enfants. La ville d’en haut engendre par l’esprit, la ville d’en bas par la chair; l’une et l’autre sont femmes et mères. Un horizon sépare le bas du haut. Une dualité où l’esprit est favorité. Ce rouge est éminemment sacré et secret est le mystère vital qui s’y cache. C’est la couleur du coeur et du sang liée à la vie. Les trois filaments blancs expriment un ordre intellectuel et spirituel. Il synthétise la tri-unité du féminin: femme, mère, épouse. Horizon rouge est le symbole de la sincérité et du bonheur simple de la vie. Le fomat carré annonce, quant à lui, une harmonie idéale de ces états féminins.

Cité émergente des flots

Cité émergente des flots est comme un navire fantôme qui apparaît dans la brume et qui disparait comme un mirage. Elle est l’horizon unique où tout est aligné comme l’alpha et l’oméga de la vie. Peinte à l’huile, cette oeuvre se dissocie de l’eau, comme le sujet se dissocie de son fond. Pour certains, elle signifie la résurrection des morts, pour d’autres, elle exprime la cendre ou le brouillard. Le gris est la plus humaine des couleurs. L’homme est le produit des sexes opposés, comme le gris est le produit du blanc et du noir, deux valeurs opposées. Le centre est un point symbolique, une position statique aux côtés de laquelle deux rives se font face, symbole de divergence où se rejoignent tous les processus de retour et de convergence dans leur recherche de l’unité. La dimension carrée de la toile est symbole de la terre; de l’univers créé. Dans les théories platoniciennes, le quaternaire se rapporte à la matérialisation de l’idée.