Entrevue réalisée par HeleneCaroline Fournier, experte en art et théoricienne de l’art, pour le compte du CIAAZ, avec LO, ce 6 mai 2017.

ENTREVUE AVEC LO

ArtZoom : Est-ce que vous pensez que l’art visuel est en perpétuelle évolution? Avec votre expérience, avec ce que vous avez vu, vécu et/ou entendu, en tant qu’artiste, pensez-vous que l’art visuel restera «traditionnel» ou si vous pensez que l’art visuel penchera de plus en plus avec la technologie ? Jusqu’où ira la présence technologique dans l’art ? Jusqu’où pourrait-on dire «ceci reste de l’art»? Y aura-t-il un moment où l’art sera dénaturé au profit de la performance informatique, selon vous?

LO : Pour l’évolution, je pense qu’il y a des cycles. A mon avis, rien ne vaudra jamais l’art rupestre, l’art des premiers hommes, ce qu’ils ont représenté sur les murs de galeries sombres et froides à la lumière d’un feu vacillant. Je pense qu’il y a eu des grandes périodes propices à l’évolution de l’art, comme la Renaissance (et d’autres aussi…). A mon avis, on ne peut parler d’évolution qu’en ce qui concerne les techniques. Il est certain, qu’aujourd’hui, évidemment, nous connaissons les techniques des êtres humaines qui nous ont précédés, mais l’art, à mon avis, n’est pas qu’une question de techniques. C’est surtout une histoire d’émotions. Je pense qu’au niveau de l’émotion, il n’y a pas d’évolution : devant un feu ou un lever de soleil, l’émotion des premiers humains doit être sensiblement la même que la mienne, aujourd’hui – je présume.

Je pense que la technologie, comme l’informatique pour ces dernières années, n’est qu’une technique de plus, au même titre que le fusain, l’aquarelle, l’huile ou la sculpture.

Je pense que tout est art. Sans aller jusqu’à l’exemple de Duchamp qui a pu exposer un urinoir dans un musée, je pense que l’écriture japonaise, le sillon qu’un bœuf trace dans un champ, la mer qui s’ouvre devant un bateau et qui se referme derrière lui, le chant d’un serin, la neige qui tombe sur le Mont Fuji, les fleurs de pommiers… tout n’est qu’art. A travers mes yeux, je perçois le présent comme de l’Art. Cela a tout et rien à voir avec la technologie, qui n’est qu’un des multiples outils à notre disposition pour créer et il n’y a aucune limite à cet outil car, comme un atome, comme l’univers, comme les limites de la réalisation d’une fresque, d’une aquarelle, d’une sculpture, d’un dessin… c’est sans limite. L’être humain n’en découvrira jamais les limites.

ArtZoom : On dit souvent que les artistes sont des êtres solitaires, qu’ils sont «seuls», que ce sont des individus « différents des autres », êtes-vous de cet avis? Vous sentez-vous seul(e)? Êtes-vous fondamentalement solitaire? Ou avez-vous besoin de vous entourer de gens pour créer?

LO : Je n’ai pas besoin de gens pour créer. Sans être négatif (ni pessimiste), je pense profondément que l’on naît seul et que l’on meurt seul. Seul l’amour – certainement la chose la plus importante dans la vie d’un humain – fait que nous traversons notre vie accompagnés. Je ne sais pas du tout comment pensent les autres êtres humains sur terre, je ne sais pas si la « condition » d’un artiste est différente de celle des autres êtres humains, mais ce qui est sûr, dans mon cas, c’est que, malgré tout, j’ai besoin d’une attitude un peu ascétique (monastique), loin des téléphones qui sonnent et des dérangements de la vie trépidante d’aujourd’hui, pour trouver un calme propice à la réalistaion de mes peintures. J’ai besoin, aussi, de longues heures toutes dédiées à la méditation face à mon tableau.

Artzoom : Quelle est votre source d’inspiration? Et que faites-vous pour conserver votre motivation à créer ?

LO : Ma source d’inspiration est multiple : la mer, le vent, la liberté, les alizés, le moment présent… J’essaie de capter cette seconde d’éternité dans laquelle je suis coincé (dans le bon sens du terme). Au sujet de la motivation, je ne me suis jamais posé la question. Je peints comme je respire. J’ai autant besoin de l’un que de l’autre. Quand je dors et que je rêve, je respire encore. Ma respiration n’a donc pas besoin d’aucune motivation pour fonctionner. Il en est de même pour mon activité artistique.

ArtZoom : Est-ce que votre famille a été solidaire de votre décision de « devenir » artiste ou si elle vous a découragé en disant que c’était difficile d’en vivre? Comment s’est fait cette décision de devenir artiste professionnel(le)? Quelle a été la réaction de votre famille à l’époque ? Quelle est la réaction de votre famille aujourd’hui ?

LO : Quand j’étais petit, ma famille écoutait surtout mes professeurs. Ceux-ci leur disaient qu’il était préférable d’apprendre un métier bien balisé, bien connu, ce qui fait que j’ai fait des études en micro-mécanique, complètement à l’opposé des études artistiques. Arrivé à ma majorité, quand j’ai eu le choix de faire ce que je voulais, j’ai étudié à l’École des Beaux-Arts et je n’ai jamais arrêté de tremper dans l’art. En fait, avec les années qui passent, en me connaissant un peu mieux, j’adore apprendre, toujours apprendre, encore apprendre. Tout est important – toutes les matières sont importantes : la chimie comme l’histoire de l’art, les mathématiques comme la théorie des couleurs, le français comme les techniques de gravure. Je pense que l’on retire tout ce qu’il y a de bon pour nous dans ce que la vie nous propose.

ArtZoom : A quel moment vous êtes-vous intéressé(e) à l’art? Lorsque vous étiez enfant ou une fois adulte?

LO : Le souvenir le plus lointain que j’ai, c’est celui où j’apprends à marcher et où je suis baigné dans une bassine par ma grand-mère. Puis, un autre, à la petite école. Puis, vers l’âge de 7 ou 8 ans, un maître d’école nous a demandé de représenter un poisson tiré d’un livre de « Leçons de choses ». Je pense que le dessin de ce poisson est un moment important – le point de départ de ma vie artistique. A priori, j’avais une facilité à dessiner. Les formes et les volutes pour dessiner ce poisson m’appaisaient et m’élevaient, d’une certaine manière. Ce ne sont que des mots creux pour tenter d’expliquer mes débuts artistiques. Il y a eu plusieurs moments fondateurs – je dis fondateurs, mais ce sont des jalons plantés dans ma vie artistique. Toujours, chez ma grand-mère, je me souviens d’un ancien catalogue « Manufrance » avec une multitude d’objets imprimés. Je passais tous mes moments libres à dessiner ces objets. Il était clair que je voulais dessiner plus tard… et ce que j’ai fait. Plus tard, par la suite, j’ai mis mes dessins en couleur et j’ai toujours continué.

Parallèlement, j’étais extrêmement sportif. Est-ce par un hasard ou avons-nous une trajectoire prédestinée ? J’ai commencé la natation. J’en suis vite venu à m’entraîner énormément. Je ne sais pas à quoi pensent les autres nageurs pendant leurs heures d’entraînement mais, moi, je ne pensais qu’au dessin.

ArtZoom : Quels ont été les obstacles majeurs que vous avez rencontrés au cours de votre carrière? Pensez-vous que tous les artistes passent par les mêmes obstacles? Ou si vous pensez que chaque artiste a ses « propres » obstacles?

LO : J’ai toujours vu les obstacles comme quelque chose de bénéfique. Donc, je ne pense pas qu’il y ait des obstacles dans la vie pour ce que l’on veut faire. Si tout était trop simple à réaliser, nous ne serions pas poussés à chercher au-delà de ce que l’on sait faire. Il faut de l’adversité pour évoluer et devenir meilleur – je pense.

ArtZoom : Quel est le souvenir le plus heureux de l’une de vos expositions gardez-vous en souvenir? Quel serait le souvenir le plus malheureux ?

LO : Le souvenir le plus heureux : ma première exposition, dans un petit café, d’un petit village où un petit groupe de rock se produisait. Il gelait à pierre fendre, mais ce soir-là, j’ai vendu l’intégralité de mes peintures.

Le souvenir le plus malheureux : une exposition personnelle, qui n’aurait dû être que plaisir, et qui n’était, en fait, qu’une angoisse profonde car l’être que j’aime le plus au monde était malade. Et rien ne compte plus, pour moi, que l’amour que j’ai pour cet être.

ArtZoom : Qu’est ce qu’il faudrait améliorer dans le domaine des arts visuels, au niveau professionnel, selon vous pour améliorer la qualité de vie des artistes professionnels ?

LO : Je ne sais pas. C’est une question tellement vaste que je n’ai pas vraiment de réponse. Chaque artiste est totalement différent des autres, chaque galeie est totalement différente des autres. Les lieux d’exposition et les musées ont des règles différentes selon les pays… trop vaste pour moi. Pas de réponse.

Dans le meilleur des mondes, il est certain qu’étant débarrassé des contraintes matérielles de la vie, la création serait peut-être plus évidente.

ArtZoom : Si vous aviez un conseil à donner à un(e) jeune artiste qui désire se lancer dans le domaine, quel conseil lui donneriez-vous?

LO : « Fais-le ! »

De savoir que chaque minute que l’on vit est importante, comme si c’était la dernière. Il faut s’écouter, se faire confiance. Il faut y aller à fond… et le faire !

ArtZoom : Pensez-vous que l’artiste contemporain doit obligatoirement exposer dans un autre pays pour obtenir une reconnaisance professionnelle dans son propre pays ? L’adage « nul n’est prophète en son pays » est-il vrai, selon vous ?

LO: Il n’y a pas de règle. La chance y est pour beaucoup: être au bon endroit au bon moment… tout est lié à la chance. Évidemment, il est préférable de montrer ses réalisations à la planète entière, mais il n’y a pas vraiment de règles dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres domaines – je pense.